Un concept de Philippe Emanuelli
Nous éditons des produits secs, c’est à dire des produits frais dont on a retiré l’eau, améliorant à la fois les perspectives de conservation, et le bilan de la facture énergétique. A valeurs nutritive et gustative égales, voir supérieures, un aliment sans l’eau qui le fragilise voit son poids diminuer de 60 à 90%. Ce qui réduit considérablement l’empreinte écologique liée au transport de ces aliments des espaces où ils sont le mieux produits aux espaces où ils seront le plus consommés.
Éditer c’est choisir. Le goût, l’intérêt nutritif, l’histoire qu’ils racontent, leur dynamique dans leur écosystème, la valeur patrimoniale et la soutenabilité, sont les critères de sélection de nos produits. Ils répondent aux nouveaux enjeux qui animent notre alimentation en particulier et le monde en général. Aujourd’hui peut-être plus que jamais, ce qui est bon à manger doit aussi être bon à penser.
Un concept global
Le premier ressort de la dynamique Supersec est le postulat suivant : le produit séché (considérons le champignon) n’est pas un pis-aller du produit frais, mais plutôt une version amplifiée de ce produit. Il n’est pas moins, mais plus.
A partir de cette idée, agissant comme un prisme, différentes notions fortes nous sont apparues, définissant aujourd’hui le concept global « Supersec ».
Le champignon qui cachait la forêt
De notre point de vue, disons l’étal d’un maraîcher à Bruxelles, l’offre de produits sauvages ou naturels est plutôt limitée. A bien y regarder, nous constatons que même sur les marchés de gros, la variété des champignons proposés, et bien souvent leur qualité, est en nette régression (contrairement à leur prix, et sur les dix dernières années), sous l’effet conjoint et supposé de la pollution et de la gestion parfois contestable des espaces forestiers. L’un des effets indirects de cette raréfaction est le développement de la culture, qui est à la base une option positive, mais pas suffisante.
Nous savons aujourd’hui que la productivité de la nature est directement liée à son niveau de biodiversité. Nous avons donc cherché (ou plutôt trouvé) des Supersites où ce niveau de biodiversité est observable, et des contacts locaux pour mettre en œuvre les moyens techniques d’exploiter cette productivité et cette diversité naturelle sans les affaiblir. Nous avons convenu d’en prélever une part, partageant avec l’ours, le lièvre, la tortue, le berger et ses brebis, et les cueilleurs des différents villages.
Bon à manger, bon à penser
Nos champignons, nos fruits et nos algues proviennent donc de sites particulièrement « propres », productifs parce que protégés, entretenus par une activité locale, vivrière et bienfaisante. Leur exploitation est durable. Ce qui soulève un paradoxe. Le soin apporté au bon développement de ces variétés , favorise le foisonnement d’espèces endémiques sur ces biotopes « re-créés ». Sortir le sauvage de la nature pour assurer sa durabilité, c’est à dire la pérennité de l’espèce par sa « mise à disposition », en milieu confiné, est mis à mal par l’idée toute bête que : entretenir un milieu naturel comme un jardin, rétablissant une biodiversité acceptable, est propre à créer une productivité « durable ». Ça paraît presque du bon sens, mais il fallait le faire.
Certains l’aiment sec
Malgré toutes ces aimables opportunités, nous n’avons jamais envisagé de travailler le champignon frais. Les champignons contiennent jusqu’à 95% d’eau. Si l’on transporte 100 kg de champignon frais de la Grèce à Bruxelles, 95 kg d’eau feront 3000 km. D’aucuns trouveront l’idée saugrenue. Dont nous.
Or il se trouve que parmi les techniques séculaires de gestion des stocks, le séchage soit le plus économe et le plus répandu. Le vent, le soleil, ou plus récemment, le four électrique font l’affaire. Après quelques essais, nous savons que le four électrique, à basse température, pourvu d’une forte inertie thermique, donne les meilleurs résultats. Il élimine l’eau sans altérer les propriétés, gustatives et nutritionnelles, du produit séché.
Le séchage permet de garder le potentiel d’un aliment, en évitant : l’oxydation inévitable de ses cellules, l’altération de son goût, de son odeur, et de sa couleur, et de la destruction des nutriments qu’il contient, lors de son transport et de son stockage.
L’avenir (…) m’intéresse, car je compte bien y passer les prochaines années.
Woody Allen
Vous l’avez bien compris, Supersec, c’est tout le produit frais, plus « moins l’eau ».
Une des pistes de ma réflexion partait d’une blague de Pierre Desproges à propos de la nature qui est bien faite : les eskimos sont assez friands de phoques, tandis que les ivoiriens adorent les ananas. Heureusement car si c’était l’inverse, ça serait un beau bordel.
Malheureusement, les ivoiriens adorent le coca, et les eskimos, la vodka russe.
Tout ça pour rappeler qu’il est difficilement pensable de continuer à soutenir la dictature du frais et de l’exotique (y compris le hors-saison), sans offrir en contrepartie quelques solutions alternatives dont le fond de roulement pourrait contenir, entre autres, l’idée d’une alimentation plus efficace.
Concrètement, le séchage, en réduisant considérablement le poids de l’aliment, diminue l’empreinte écologique lié à son transport.
Le séchage permet un stockage efficace de produits très saisonniers et fragiles, permettant de valoriser les efforts de fructification la nature.
Dans le même ordre d’idée, le séchage permet de commercialiser des produits dont la fragilité interdit toute commercialisation à l’état frais (crocus de montagne, coprin chevelu, galathée).
Le séchage, en concentrant la matière, concentre aussi les goûts, et les nutriments. La teneur en nutriment d’un aliment s’exprime toujours par rapport à son poids sec. Dans le produit frais, lorsqu’ils ne sont pas altérés, ces nutriments sont dilués dans une grande part d’eau. Dans le produit sec, il se concentre, et devient plus efficace. Poursuivons cette idée en considérant l’intérêt que portent la diététique et la médecine (conventionnelle et alternative) aux propriétés de certains aliments, dont les champignons, les algues ou les fruits : Leur teneur en protéines, sels minéraux et oligo-éléments (algues), leur teneur en immuno-stimulants (Boletus edulis, lentin des chênes) leur donne une valeur toute singulière. Ces principes restent actifs dans le produit séché. Ils n’ont pas valeur thérapeutique bien sûr, mais ils donnent du sens au néologisme « alicament », qui entretient chez celui qui le consomme, une gestion préventive favorable à la santé. Beaucoup de compléments alimentaires distribués par les sociétés pharmaceutiques ne contiennent pas autre chose que ce que propose Supersec. Mais la version en poudre entourée de gélatine est quand même moins sexy que le champignon ou la crevette séchée entiers et prêt à déguster.
Tous à la poêle
L’angle choisit pour présenter nos produits est délibérément celui de la cuisine. Le séchage, en concentrant le goût, en modifiant la texture, permet une expérience gastronomique inédite et originale. Une grande partie de notre travail consiste donc à accompagner nos clients vers cette expérience, via l’édition de fiches recettes, d’informations sur le site, et de mode d’emploi sur les boites. L’expérience « Café des Spores », et l’édition d’ « UNE INITIATION A LA CUISINE DU CHAMPIGNON » (Marabout, 2011), et de « COQUILLAGES ET CRUSTACES » (Marabout, 2012), nous donne par ailleurs une certaine légitimité. Le cuisinier, amateur ou professionnel, comprend très vite que sous des dehors intimidants, les produits séchés sont extrêmement ludiques, et faciles à utiliser, du fait même qu’ils ne contiennent pas d’eau. Le restaurant Ar Men Du à Névez, où j’officie comme chef de cuisine, a reçu en ce début d’année 2020 une étoile verte du célèbre guide Michelin. Cette récompense nous conforte dans notre exigence et nos choix au quotidien : la sélection qualitative d’ingrédients des mets préparés, l’esthétique des plats présentés aux convives, et bien sûr la passion partagée du goût.